Affaires Lactalis, Nestlé et Ferrero : quels enseignements sur le management et la communication de crise peut on en tirer ?

17 mai 2023
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Par Thierry Portal et Clément Jocteur Monrozier, Co-directeurs du MBA Management et Communication de Crise

Qu’y a t-il de commun entre les récentes affaires touchant trois géants de l’industrie agroalimentaire Lactalis (janvier 2018), Nestlé (Buitoni, mars 2022) et Ferrero (Kinder, avril 2022) ? Surtout, quels enseignements sur le management et la communication en situation de crise peuvent-ils en être tirés ? Un article dédié à la gestion de crise par Thierry Portal et Clément Jocteur Monrozier, Co-directeurs du MBA Management et Communication de Crise Devinci Executive Education.

 

 

Rappel des faits

Lactalis – L’année 2018 a été marquée par l’affaire Lactalis, leader mondial des produits laitiers, dont le lait en poudre pour bébé produit à l’usine de Craon contenait de la salmonelle. Débuté fin 2017, ce scandale a connu ensuite de nombreux soubresauts et rebondissements, révélateurs des plus mauvaises pratiques dans l’agro alimentaire et la grande distribution : pressions fortes de Bercy, déchainement médiatique et silence du CEO, responsabilités évidentes de la grande distribution et du secteur pharmaceutique, insuffisance des contrôles sanitaires, méthodes de rappel de produits défectueux…

 

Buitoni (Nestlé) – Fin Mars 2022, plusieurs cas de contamination d’enfants par la bactérie Escherichia coli et des décès sont constatés.  Une cinquantaine de dépôts de plainte en avril sont déposés par des parents. Simultanément, la publication de témoignages choc d’anciens salariés de l’usine Buitoni de Caudry (où sont produites les pizzas de la gamme « Fraich’Up ») provoque une enquête du Parquet de Paris. La chute des ventes du produit incriminé entraine fin mars 2023 la fermeture du site par le groupe Nestlé et le chômage programmé début 2024 d’une centaine de salariés.

 

Kinder (Ferrero) – En avril 2022, des consommateurs inquiets de la présence de taches sur des Kinder interpellent Ferrero qui conteste de suite la présence de bactéries suspectes. Pourtant, 150 cas de salmonelloses sur des produits fabriqués dans l’usine Kinder d’Arlon en Belgique sont rapidement relevés, principalement chez des enfants de moins de dix ans, ce qui amène rapidement le groupe Ferrero à faire le rappel de tous les produits fabriqués dans cette usine. Une avalanche de critiques s’abat alors sur la marque italienne, des informations révélant que Kinder aurait du, dès fin décembre 2021, arrêter ses chaînes de production.

Les points communs

Le poids du symbolique : si la santé est devenue un sujet de préoccupation majeure dans l’opinion publique, celle des enfants constitue l’alpha dans la construction d’un objet médiatique basé sur l’émotion. L’événement s’articule autour de ses victimes et l’effet amplificateur des incompréhensions / accusations  de leurs parents écrase toute riposte techniciste, annihile tout effort de ‘transparence’ et interdit toute tentative de rejeter la responsabilité sur un tiers.

L’insuffisante rationalité : quelle que soit la nature de l’accident industriel, l’entreprise est immédiatement questionnée sur ses démarches qualité et contrôles, ses valeurs, sa gouvernance, son passé et sa communication. De fait, face au(x) public(s), les seules dimensions explicatives ne suffisent pas. Vous pouvez « avoir juridiquement et techniquement raison mais médiatiquement tort ! » (Cf. Patrick Lagadec). Bien que nécessaire, la rationalité ne permet plus de répondre aux peurs et angoisses émises par les parties prenantes. D’autant plus que les réseaux sociaux accélèrent le temps du partage de l’information et éreinte l’ancienne verticalité sociale pour ne voir que des témoins peu informés, souvent critiques et toujours influents.

La théorie du fort au faible : l’entrée en crise est toujours un processus de fabrication, d’autant plus instantané et asymétrique que l’information circule de suite sur les réseaux sociaux, facilitant l’apparition de victimes (faibles), d’organisations (fortes), et souvent de justiciers (ex : lanceur d’alerte/Buitoni ; ONG ou associations qui révèlent le scandale ou soutiennent les parents / Ferrero et Lactalis). La crise est une ‘construction sociale’ dans laquelle vont se jouer plusieurs rôles dans une dramaturgie quasi Shakespearienne : l’événement obéit à des règles non écrites où la vérité existe de moins en moins et où il n’y a que des affrontements de points de vue.

Le ton, la posture : le tribunal de l’opinion jugera l’entreprise d’autant plus vite que ses propos seront jugés trop rapides, sans fondements, voire même « hors sol ». Lactalis explique de suite : « nous considérons qu’il n’y a pas eu de manquement de notre part sur les procédures ». Pour Nestlé : « Il n’existe aucun lien avéré entre nos produits et les intoxications survenues ». Le groupe Ferrero affirme la même chose à peu de choses près.
De fait, c’est bien la responsabilité morale qui est engagée, avec les incertitudes liées au calendrier judiciaire. Sauf exception, le silence communicationnel n’est pas de mise dans ce type d’affaires. Lactalis restera pour longtemps un cas d’école, tant l’absence du Pdg fût assourdissant durant les premières semaines de la crise. Quant à Nestlé, son attitude est tellement éloignée des standards de la gestion de crise que le parquet de Paris annonce l’ouverture d’une enquête.

Les excuses : passage quasi obligé des organisations en situation de crise, l’excuse publique arrive toujours trop tard, quand le mal est fait et la responsabilité juridique engagée. Quelque soit le verbatim utilisé, la mise en scène de l’excuse ne trompe plus grand monde, les affaires Amstrong, Strauss Kahn et Cahuzac ayant largement contribué à détruire la sincérité d’une telle démarche. Nestlé a mis quatre mois pour reconnaître ses torts tandis que Lactalis était contraint de présenter ses excuses dans la presse puis devant une commission d’enquête parlementaire. Enfin, Ferrero était contraint de lancer une plateforme de réclamations…

Les enseignements en communication de crise

Le principe d’incertitude : une situation devient sensible lorsqu’une entreprise doit communiquer rapidement pour tenter d’occuper l’espace avant que n’émergent polémiques et controverses sans pour autant disposer des informations qui lui permettraient de comprendre l’exacte nature du problème et ses conséquences (à court, moyen et  long termes).

Autrement dit, le mangement des crises consiste souvent à naviguer à l’aveugle en tentant d’occuper le terrain pour ne pas laisser à d’autres le soin de prendre le leadership émotionnel, médiatique et social. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui que chaque crise augure de sa potentielle « feuilletonnisation » médiatique et induit des effets subis tel que le « larsen » (mémoire du web), la « tâche d’huile » (extension du champs de la crise), le « boomerang » ou encore l’effet « Streisand » du nom de l’artiste qui a vu les photos de sa luxueuse demeure floridienne envahir le web parce qu’elle avait tenté d’en faire retirer la diffusion digitale

Le poids de la culture et des valeurs de l’entreprise : bien des crises ont pour origine le « pêché de surpuissance ». Que vous preniez Lactalis, Ferrero ou encore Nestlé, ces trois entreprises mondiales réagissent mal car leur propre culture de domination sur leurs marchés respectifs les rend aveugles aux risques d’opinion.

De plus, l’éloignement géographique et ‘hiérarchique’ d’avec les sites de production empêche les maisons mères d’avoir une vision correcte et rapide de la situation.

Enfin, il arrive parfois que la culture du secret, héritée des fondateurs ou inhérente au secteur, interdise à un dirigeant de prendre la parole : ce fut clairement le cas pour Lactalis dont le silence fût aussitôt assimilé à de la surdité.

De fait, les valeurs d’une organisation ne constituent plus un pare-choc efficace contre les crises : celles affichées par Ferrero avant la crise télescopèrent violemment les perceptions qu’en eut, à chaud, le grand public. Ainsi, culture et valeurs peuvent être à l’origine d’ignorances organisationnelles et managériales.  Il n’est plus le temps de mythes protecteurs issus de l’histoire, de la taille, de l’influence ou de la gouvernance de l’entreprise.

Le temps des alliances : chaque crise représente pour certains une opportunité d’apparaître au grand jour. Le groupe Ferrero sera fortement critiqué par l’ONG Foodwatch qui l’accuse d’avoir trop tardé à réagir, alors que des lots contaminés étaient découverts dès le 15 décembre 2021 dans son usine belge. Lactalis verra l’émergence d’une association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles qui organisera un dépôt collectif des plaintes au tribunal de grande instance de Paris pour mise en danger de la vie d’autrui. Enfin, les images diffusées dans la presse du site de production Buitoni émanaient d’un ancien salarié, ex représentant du personnel…

L’enjeu est donc de connaître ses parties prenantes quitte à faire des compromis, des alliances qui s’inscrivent dans une démarche socialement responsable. Dans un monde structuré par les réseaux et les interactions, l’objectif prioritaire est ici de s’incérer dans un ‘jeu’ donné, voir de peser sur lui en prévenant ses spasmes. En cela, pratiquer l’alliance est une démarche appropriée aux mutations en cours car elle fait en sorte que le pouvoir n’échappe définitivement à l’organisation. De plus, elle permet de rebondir en introduisant dans la boucle de réponse les partenaires et alliés qui participeront de près à la gestion d’une crise contre ceux qui l’instrumentaliseront.

Car l’entreprise navigue dans un monde ‘chaotique’ dans lequel les relations qu’elle créé avec son écologie naturelle doivent lui tenir lieu d’espaces de ‘stabilité’, de ‘zones d’absorption des chocs’ construits sur des maillages souples pré-connectés, activables en tous temps ; et surtout en cas de crise, où il ne s’agit plus de rassurer les parties prenantes mais de les rendre partenaires d’un engagement responsable et créatif en faisant preuve d’exemplarité et d’engagement personnel au plus haut niveau.

Ces trois exemples de crises industrielles sont là pour rappeler l’importance du « Penser la crise » au sein des entreprises.

C’est tout l’objet du MBA Management et Communication de Crise DeVinci Executive Education qui ouvrira ses portes en octobre 2023.

Auteurs : Thierry Portal et Clément Jocteur Monrozier, Co-directeurs du MBA Management et Communication de Crise

Thierry PORTAL
Co Directeur pédagogique du MBA Management et Communication de Crise
Auteur primé, consultant, formateur, scénariste de crise

Clément JOCTEUR-MONROZIER
Co Directeur pédagogique du MBA Management et Communication de Crise
Directeur Communication et RSE 1001 Vies
Membre du C3d