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L’art du compromis, entretien avec Florent Marcellesi

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Ancien député européen, co-président des Verts espagnols et aujourd’hui consultant européen engagé pour une transition écologique juste, Florent Marcellesi est intervenu à De Vinci Executive Education dans le cadre d’une conférence dédiée à “l’art du compromis”, organisée à l’initiative de Thierry Vincent, directeur du MBA Management de la Transition Énergétique. Dans cette interview, il revient sur les conditions d’un compromis politique efficace, les tensions liées à la transition énergétique, et les clés pour négocier avec conviction dans un contexte complexe et souvent conflictuel.

Vous avez été député européen, coprésident des Verts espagnols, et vous êtes aujourd'hui consultant européen.

Fort de cette expérience, quel regard portez-vous sur le thème de l'art du compromis, que vous êtes venu partager avec nos apprenants lors de votre intervention à De Vinci Executive Education ?

Le compromis est plus que jamais nécessaire. Et il est plus que jamais difficile. Surtout par les temps qui courent où la notion de vrai devient de plus en plus floue et l’on voit une vague réactionnaire et négationniste qui utilise les fake news comme on va chez le boulanger. Sans aller plus loin et en regardant les stratagèmes de Donald Trump, c’est très difficile de négocier quand une des deux parties ment sur les données, harcèle les plus faibles ou dénigre la justice.

Il est donc fondamental de prôner un art du compromis où le respect et l’écoute de l’autre sont aux centres. Le compromis ne devrait pas être un jeu à somme nulle mais une volonté de construire des accords où toutes les parties prenantes peuvent sortir la tête haute. Qui plus est dans des sociétés socialement, culturellement et politiquement hautement plurielles et complexes, le compromis est une des seules possibilités de gérer la devise de l’Union Européenne qui prône “l’Union dans la diversité”.

Dans votre expérience au Parlement européen, le compromis est un art subtil.

Quelles sont, selon vous, les conditions essentielles pour parvenir à un compromis efficace dans le cadre de négociations politiques complexes, notamment en matière de transition énergétique ?

Pour bien négocier, il faut bien se préparer mentalement et dans la pratique. Et une bonne préparation passe tout d’abord par une bonne connaissance des institutions dans lesquelles on évolue, du contexte social et politique présent, et des rapports de force réellement existants. Ce n’est pas la même chose négocier dans un parlement éminemment pluriel et divers comme le Parlement Européen que dans une chambre dominée par une seule force politique. Par exemple en France, ce n’est pas la même chose négocier dans une Assemblée nationale avec majorité absolue des années 1980-1990 que dans une Assemblée nationale sans majorité d’un seul parti version 2025.

Mais surtout, il faut comprendre ses propres intérêts et les intérêts des autres. Quand on parle de transition énergétique, on doit bien comprendre qu’il y a beaucoup d’intérêts en jeu : économiques, sociaux, géopolitiques, culturels, démocratiques. C’est un grand changement de paradigme. Donc forcément il y a et y aura des conflits entre intérêts et visions divergentes, que cela soit sur le terrain ou dans les institutions locales, nationales et européennes. Ici ou là-bas, nous sommes tous et toutes représentantes d’intérêts idéologiques et socio-économiques, personne n’en est exempt, que cela soit une grande entreprise d’énergie fossile ou Greenpeace. On trouvera les intérêts des uns et des autres plus ou moins justes, soutenables ou démocratiques, mais on défend tous et toutes quelque chose. Le premier pas pour négocier, c’est savoir identifier les intérêts dautres, leur légitimité et leur part de vérité, mais aussi, et c’est primordial, ses propres intérêts.

La transition énergétique touche des secteurs parfois opposés dans leurs intérêts.

Quels sont, à votre avis, les principaux freins à la négociation entre acteurs publics, industriels, citoyens, et comment les surmonter ?

Aujourd’hui je vois sur le terrain et dans les institutions deux principaux freins, qui agissent comme un étau. D’un côté, il y a une stratégie consciente et coordonnée de courants négationnistes qui ont décidé, pour des raisons idéologiques et tactiques, de mettre la transition énergétique au centre de leurs attaques et fake news. Par exemple, lors des pluies torrentielles à Valencia en octobre dernier qui ont fait plus de 200 morts, ces réseaux ont été très actifs pour responsabiliser d’emblée ce qu’ils appellent “le fanatisme climatique”, que cela soit le gouvernement ou les écolos. C’est le monde à l’envers. Le changement climatique crée des événements extrêmes comme les pluies torrentielles mais les coupables sont exactement ceux et celles qui lancent des alertes et apportent des solutions. De même pour la panne électrique majeure en Espagne et au Portugal de mai, sans attendre l’enquête, ils se sont acharnés sur les énergies renouvelables. Cette dérive populiste et scientifiquement infondée est très dangereuse pour la transition énergétique et les pratiques démocratiques.

De l’autre côté de l’étau, que cela soit en Espagne, en France ou en Serbie, on retrouve une opposition locale de plus en plus forte. Sur une base légitime : comme j’ai pu moi-même le constater sur le terrain, certains projets, certaines multinationales peu enclins à la transparence et la participation sociale arrivent avec des projets clés en main et ne respectent pas ou très peu les normes environnementales et les besoins de démocratie locale. En même temps, tout n’est pas rose chez les opposants. Il y a un effet NIMBY (Not In my Backyard, pas dans mon jardin) réel et pesant : on veut continuer à vivre avec toutes les commodités du monde moderne, téléphones, ordinateurs fixe et portables, tablets, TV géante, mais on ne veut pas de leurs inconvénients comme la production d’énergie et de matières premières nécessaires à leur fabrication. En plus, il existe une certaine idéalisation du paysage et du monde rural où rien ne devrait changer alors que ce n’est pas, bien au contraire, le lieu de la durabilité.

Surmonter cet étau, c’est déjà bien le comprendre. Communiquer clairement pour ne pas se laisser attraper dans la spirale des fake news et écouter les griefs de la population locale pour l’intégrer dans un processus de participation aux contours bien expliqués et bien définis. Pour tout cela, les conférences de citoyens ou de consensus peuvent être des outils bien adaptés.

Vous avez évoqué durant la conférence des exemples concrets issus du terrain.

Pourriez-vous nous partager un cas marquant où un compromis a permis de faire avancer une politique énergétique ambitieuse ?

La transition énergétique dans les bassins miniers en Espagne a été très marquante et est aujourd’hui considérée une réussite au niveau international. Elle a mis sur le devant de la scène un concept fondamental : la transition juste. Il ne peut pas avoir de transition énergétique réussie sans assurer en même temps de la justice et de l’équité pour toutes les personnes qui pendant des générations ont vécu dans les bassins miniers et ont assuré l’approvisionnement énergétique d’une grande partie du pays et de l’Europe. Personnellement j’y ai appris à ne pas arriver à mes grosses chaussures d’écolo et tout simplement à écouter les mineurs, leurs points de vue et, sur la base d’idées initialement divergentes, construire des futurs partagés.

En France, je recommande vivement de se plonger dans le cas de la ville de Loos en Gohelle, dans le Pas de Calais. Là-bas, sous la houlette pendant de nombreuses années d’un maire charismatique à la fois écologiste et issu de famille minière, la ville s’est littéralement transformée passant du charbon comme centre de vie en hub d’énergies renouvelables. Et cela, de la main de la population locale et en sans tourner le dos au passé minier de la région qui est devenue, à travers ses terrils et autres vestiges de l’activité minière, patrimoine mondial de l’Humanité. Un magnifique exemple de transition énergétique pleine de valeurs, de mémoire et de projection collective dans le futur.

Quels conseils donneriez-vous à nos futurs managers de la transition énergétique pour devenir des négociateurs efficaces et engagés, capables de faire progresser des projets dans un contexte souvent conflictuel ?

Avant tout il faut se dire que la transition écologique est en même temps une promesse de lendemain meilleurs et une nécessité mais tout sauf une partie de plaisir à mener. Comme nous l’avons dit, de nombreux intérêts parfois divergents s’entrechoquent. Il faut donc en être conscient et arriver préparé à gérer des conflits. Et dans ces cas-là, il faut savoir prendre son temps. Car sur le terrain ou dans les institutions, il faut du temps pour écouter les uns et les autres, pour créer de la confiance, pour informer des enjeux, tant locaux que globaux, négocier de bonne foi et pour construire des consensus.

Sans perdre l’objectif de vue, c’est-à-dire mener à bien une transition énergétique qui permet de répondre aux immenses enjeux climatiques et sociaux actuels et futurs, le processus est aussi important que le but en lui-même. Ce sont ces compromis là qui sont les plus solides et permettent une transition énergétique, juste et démocratique.